Les contributions de cette journée d’étude ont vocation à s’interroger sur ce que Nietzsche appelle, dès le début des années 1870 et dans Humain, trop humain encore, la « joie de fabuler [Lust zu fabuliren] » (NF-1873,27[68], 1875,5[115] et MA-154). Il se réfère tout d’abord à l’activité artistique de Goethe, puis étend ce plaisir pris à la fabulation poétique à la faculté qu’avaient les Grecs de l’Antiquité de jouer avec la vie. Au début des années 1880, il est encore question d’une faculté fabulatrice ou aptitude à raconter des histoires, inventer et imaginer poétiquement (Fähigkeit zu erdichten, NF-1880,8[36]), ainsi que d’une force de la fantaisie imaginative, ou force fantasmagorique (phantasirende Kraft, NF-1880,10[D79]) dont Nietzsche envisage qu’elle soit inhérente à toute activité perceptive.
Ce faisant, il procède à un élargissement de la fabulation vers l’affabulation pour souligner la continuité qui rattache les fictions de l’art au mensonge et à la tromperie dans le rapport à l’existence en général, et ainsi interroger l’ambivalence de ce rapport. Il nous revient alors d’éclairer les isomorphismes et les solutions de continuité entre les inventions de l’art et la création de valeurs et de normes, en passant par le façonnement de soi, sans oublier la dissimulation et l’hypocrisie. Comment concilier la critique nietzschéenne des préjugés et des illusions avec sa philosophie de l’apparence ? Sur quelle base critiquer les fables irrecevables, comme celle du « monde vrai » dans Crépuscule des idoles, si toute volonté de puissance consiste fondamentalement en une activité d’interprétation ?
Ce thème transversal invite à une réflexion de nature aussi bien esthétique que morale ou épistémologique. Jalonnant l’ensemble du parcours intellectuel du philosophe allemand, il s’enracine dans le contexte de son époque et contribue sans doute à la postérité de Nietzsche. Outre les approches thématiques, seront aussi bienvenues les contributions qui proposeraient un rapprochement ou une confrontation entre Nietzsche et le néokantisme, le phénoménisme ou le fictionnalisme, mais aussi avec la « fonction fabulatrice » de Bergson (Les Deux sources de la morale et de la religion, chap. 2), ou en référence à des auteurs plus contemporains.