La poésie est une espèce d’évasion. On peut ajouter à cette affirmation d’Artaud que l’expérience poétique engage celui qui s’y consacre dans un abandon radical, celui de son propre moi. L’exercice littéraire qui appelle l’écrivain à se dissoudre dans son ouvrage porte en lui un goût de désir inassouvi, lui-même constitutif d’une perpétuelle souffrance.
La création devient l’ennemie, l’obstacle insurmontable à la réalisation de soi. Aussi, pour Artaud comme pour bon nombre d’auteurs aussi diversifiés que Nietzsche, Rilke, Virginia Woolf, Kafka, Sartre, S. Weil, Bataille ou encore Blanchot, l’identité (le moi, la signature) est-elle ce péché originel constitutif d’une auto-limitation permanente d’avec l’espace qui excède. En ce sens, l’ego castre tout rapport immédiat aux entités extérieures et la création en vient alors à ne plus tolérer maintenir à ses côtés celui qui s’en revendique l’auteur. L’œuvre devient une réalisation organique vivant par elle-même, elle pousse le créateur, devenu superflu, à préparer l’avènement de sa propre mort.
Aussi, semble-t-il essentiel de comprendre en quoi cette pulsion à devenir personne tend à paraître comme un dénominateur commun rapprochant ces différents artistes et leurs affiliations psychanalytiques, phénoménologiques, existentialistes ou encore mystiques, dans ce que l’on nommera ici comme un désir d’anonymat.
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