Dès 1873 la maladie s’est installée à l’état chronique dans la vie et l’œuvre de Nietzsche. Quelque soit la nature exacte de ces maux, son extrême sentibilité réagit avec une force et une profondeur inouïes aux différents combats qui traversèrent sa vie.
Nietzsche a plus d’une fois souligné la rareté dans une vie de l’accord entre expérience et expression : la plupart des intellectuels écrivent, alors qu’ils n’ont rien à dire, mais pour celui qui a quelque chose à dire, parce qu’il à vraiment vécu, l’heure sonne qu’elle s’est déjà enfuie, et dans une large mesure il parle de ce qui n’est plus. Mais ce recul présuppose une projection en avant dont Nietzsche redoute souvent d’être incapable. L’épreuve lui apparaît alors effroyable, et il appelle la mort.
Pour deviner quelque chose de la façon dont Nietzsche est sorti du gouffre, il faut se référer aux œuvres où il théorise sa conception des rapports entre la santé et la maladie. Le dépit, la susceptibilité, l’impuissance, le ressentiment sont autant de toxines de la maladie. Nietzsche écrit pourtant qu’il doit à sa longue maladie la liberté à l’égard du ressentiment. Un philosophe qui a traversé et ne cesse de traverser plusieurs états de santé a passé par autant de philosophies. Il ne saurait faire autrement que transformer chacun de ses états en la forme et en l’horizon les plus spirituels.